Caen, Octobre 2010 :
Vous êtes tous deux très impliqués dans la construction du voilier, il s'agit d'un travail d'équipe. Racontez-nous cette expérience.
Jean-François Lilti. Nous disposions d’environ deux cent mille euros. En effet, plutôt que de placer nos économies en bourse ou d’investir dans l’immobilier nous avons préféré les investir dans notre passion : la course au large.
Nous avons donc décidé de construire un catamaran de 50 pieds. C’est plus original puisqu'aujourd'hui les multicoques sont quasiment tous des trimarans. Nous avons fait le choix d’un catamaran perce-vague, avec une coque centrale suspendue, inspiré entre-autres de bateaux expérimentaux… et qui ne ressemble à aucun autre.
Le projet est né de rencontres notamment avec Matthieu Feron, architecte ayant gagné un concours de dessins de coques. Ensuite, une équipe d'amateurs s'est regroupée autour du projet.
Quels sont les points forts et les points faibles du bateau ?
Xavier Gosselin. Un de ses point fort est son comportement face au clapot : le principe perce-vague a un gros avantage quand la mer devient clapoteuse, par exemple dans le secteur de la Manche. Le cockpit central est très protégé et le volume intérieur vraiment spacieux pour un bateau de course. Le mât est maintenant un point fort et est plus solide qu'il n'a jamais été.
JF. C'est un mât qui nous a été offert par Mike Golding. Il faut savoir qu'il a déjà fait deux tours du monde et a été réparé à deux reprises. Il est désormais renforcé. Sa tenue et le haubanage vont être renforcés également. Le mât peut être un point faible, mais il est le point faible de tous les autres bateaux. Lors du dernier Vendée Globe, il y eut un nombre considérable de démâtages : Mike Golding, Bruno Peyron, DCNS, Groupe Bel. Et ces voiliers ont des mâts dont le prix est, tenez-vous bien, supérieur à notre budget global.
Quelles sont les caractéristiques de l’Avocet comme sa taille, son poids, la hauteur de son mât ou la surface des voile...
Son poids est d'un peu moins de 6 tonnes, sa longueur de 50 pieds soit 15,24 mètres et sa largeur 10 mètres 50. Le mât mesure 21 mètres et la tête de mât se retrouve à 23 mètres au dessus de l'eau, soit la hauteur d'un immeuble de sept étages... La surface de grand voile est au alentour de 110 m2, le solent est à 60 m2, le spi fait 160 m2. Le ratio surface de voile / poids du bateau est excellent.
Combien d'heures de travail sur l'Avocet ?
X. Nous estimons à 11 000 heures. Comme vous le voyez, c’est une passion qui nous mange et notre argent et notre temps.
JF. Nous étions jusqu’à douze à travailler sur la fabrication des moules, à côté de la plage d'Omaha Beach, à Saint-Laurent sur mer. Ce n'est pas une région à tradition maritime, c'est une région agricole et ce projet qui serait passé relativement inaperçu en Bretagne a fédéré énormément de monde ici. La mer fait rêver, même ceux qui ne naviguent pas et nous avons reçu beaucoup d'aides aussi bien de la part du maire de la commune que des jeunes retraités, des étudiants…
Avez-vous parfois douté ? Le projet vous a-t-il semblé par moment trop ambitieux ?
X. Je ne pense pas, dans la mesure où le bateau a été construit par éléments séparés. Jusqu'à la mise à l'eau, nous n'avions pas le temps de nous poser des questions. Je n'ai jamais douté de l'avenir de ce projet.
Venons-en maintenant à la démarche militante. Qu'est- ce qui, dans votre parcours, vous a conduits à vous rapprocher de l'association Citoyens du Monde ?
JF. Je pense que c'est toujours le hasard des rencontres. Il est vrai que c'est une association que je connais depuis longtemps - notamment par les encarts publiés dans Le Monde Diplomatique - sans y avoir participé. C'est comme cela que j'ai connu l'association. Les idées de Citoyens du Monde collent parfaitement avec ce que l'on pense et lorsque l'on a rencontré Didier Marchand, cela a coulé de source d'associer notre projet à un idéal mondialiste.
X. En effet, l'idée de faire un bout de chemin avec Citoyens du Monde était plutôt naturelle et dans la logique de notre démarche de navigateurs sensibles aux problèmes de la pollution de l’eau.
En quoi la voile va-t-elle vous permettre de sensibiliser au mondialisme et à l'environnement ?
X. C'est très simple de sensibiliser les gens à l'environnement par le biais de la voile car c'est un sport que l'on peut qualifier de vert. Les voiliers, par définition, utilisent la seule force du vent pour se déplacer. De plus, on peut dire sans exagérer que la dégradation des océans désespère l'ensemble des amateurs de voile.
JF. Voile et mondialisme : on évolue sur un milieu qui par sa nature même est mondial. Il n'appartient à personne pour sa partie la plus large et l'on comprend immédiatement en quittant les eaux territoriales à quel point il est nécessaire que les décisions soient prises au niveau global, aussi bien pour les problèmes de gestion des ressources halieutiques, que pour la pollution ou le réchauffement climatique. On est en prise avec tout cela lorsque l'on navigue au large. Un exemple parmi de nombreux autres : les ordures provenant d’un continent vont se déverser sur les rivages d’un autre au grès des vents dominants et des courants : on trouve sur les plages du Cap Vert des plastiques provenant d’Espagne.
On comprend que les décisions doivent être prises au niveau mondial.
Les Citoyens du Monde n'ont bien sûr pas la capacité de financer les frais de course de l'Avocet. La dimension de bénévolat est-elle importante dans votre démarche ?
X. Le bénévolat et les efforts financiers de Jean-François sont à l'origine de ce projet. Quelque part, le bénévolat est aussi la source de notre énergie. J'ai décliné plusieurs fois la proposition de rentrer dans de grosses équipe pour être préparateur de bateau. Je préfère être dans un petit projet et être au courant de tous les problèmes, pouvoir naviguer, plutôt qu'être un simple pion dans une grosse équipe. La démarche bénévole a donc toujours été présente et nous en avons déjà été récompensés.
JF. Je ne souhaite pas répondre à côté de la question mais le bateau a été construit avec une main d'oeuvre amateur et des apports financiers personnels des gens qui ont travaillé sur le bateau. Aujourd'hui, ce bateau existe, navigue, avec un petit budget certes, mais ce qui me plaît beaucoup c'est qu'il peut permettre à une association qui n'a pas des moyens énormes de participer à la Route du Rhum avec une couverture médiatique importante. Dans le cas présent, comme c'est le rêve de l'équipe de participer à ce genre de course, nous donnons à l'association Citoyens du Monde la possibilité de faire la promotion d’une Autorité Mondiale des Océans.
Nous préférons en effet offrir toute la surface médiatisable de notre voilier à une association défendant nos idées, même si c’est aux dépens de notre confort budgétaire.
Pourquoi pensez-vous qu'une autorité mondiale des océans pourrait améliorer la situation actuelle ?
JF. Cela paraît complètement évident. Seule une autorité mondiale, à caractère évidemment supranational, c’est à dire disposant de vrais pouvoirs de contrainte pourrait faire pression sur les gouvernements pour que des produits toxiques, des résidus de fabrication de l'industrie chimique, des déchets divers et variés ne soient pas rejetés par les estuaires. Pour que soient prises des mesures plus draconiennes concernant la surpêche, pour que soient mis en place des parcs marins pour permettre aux espèces de se renouveler afin que la pêche continue dans de bonnes conditions.
X. Au lendemain du sommet de Copenhague, il est très facile de s’apercevoir des limites du système actuel. La mise en place d’une Autorité Mondiale des Océans, qui aurait autorité sur les Etats, me paraît donc la seule alternative pour sortir du statu quo actuel.
Article publié dans "Citoyens du Monde", bulletin du Centre Français d'Enregistrement des Citoyens du Monde
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